L’indifférence n’est pas une option
Je ne veux pas garder silence. Le thème de cette soirée parle de l’engagement afin de faire face à ce qui se trame sous le drame survenu vendredi dernier à Paris. Des jeunes, nos jeunes — les frontières ne tiennent plus — sont morts par la main d’autres jeunes ; nos jeunes également.
Merci à Micheline qui introduisait cette rencontre avec la lecture de la dédicace de la communauté.
« J’ai appris que le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité de la vaincre. »
Neilson Mandela
Notre manière d’être se manifeste par les mots que l’on prononce, par les actions que l’on pose… ou que l’on ne pose pas. Nous influençons le monde, dans une direction ou l’autre.
Il y a la peur et le retrait comme réflexes de protection devant des événements aussi graves que ceux du 13 novembre. À l’opposé, pour vaincre cette peur nous remarquons la volonté de briser le mur de l’individualisme.
L’individualisme, une manière d’être qui n’aide pas
Le pire individualisme est collectif. Cette carence d’altruisme se retrouve dans les instances civiques comme les syndicats, les ordres professionnels, les institutions privées (incluant la sphère religieuse) et publiques et affecte notre quotidien. Divers cercles et mouvements dits de « croissance personnelle » y compris certaines pratiques méditatives, font partie de ce club.
Dans cette voix forte de l’individualisme et du rejet de l’autre, ne sous-estimons pas les partis politiques, ici et ailleurs, qui exploitent ces troubles pour faire l’apologie de la peur au détriment des besoins des victimes. Le refus de partager les coûts d’une aide humanitaire montre que les murs ne sont pas faits que de briques.
L’antidote et les moyens
La solidarité et la communauté
Heureusement, il y a un antidote au réflexe de désengagement. C’est par le retour à la solidarité avec d’autres comme moi, que je peux commencer à croire et ensuite voir, que les changements se concrétisent.
Seul, c’est impossible !
On ne peut se sauver seul. C’est toujours avec ou à cause d’un vis-à-vis que cette grâce se manifeste. C’est le cas de ceux et celles qui cherchent des solutions à long terme pour aider les centaines de milliers de victimes de ces massacres.
Une brèche dans le mur d’indifférence laisse passer une lueur d’espoir. À l’instar des organismes communautaires, plusieurs églises sont déjà mobilisées et d’autres instances de gouvernance s’activent.
Dans sa Lettre aux Hébreux, Paul nous conseille :
Recherchez l’apaisement envers tous et la sanctification, sans laquelle personne ne verra le Seigneur. Veillez à ce que nul ne se prive de la grâce de Dieu, à ce qu’aucune graine d’amertume ne produise du trouble et que plusieurs n’en soient affectés. (Hébreux 12.14 et 25)
Mis en langage courant, voici comment je comprends ces paroles :
Veillez à la relation bonne avec les autres et partagez les fruits de la solidarité. Veillez à ce que personne ne manque ni d’eau ni de nourriture, d’éducation et d’espoir d’un avenir prometteur. Veillez à vous-même et travaillez à déraciner la rancune qui est source d’amertume et qui affecte vos relations. Enfin, envers tous, demeurez ouvert à la Bienveillance. Soyez réconciliés.
Une bienveillance en action
Celui qui demeure assidu à l’écoute de la Sagesse, est à l’abri des sursauts d’une psyché exacerbée. Restaurée par le silence, la rencontre est réconciliatrice pour l’autre fragilisé dans son corps et son esprit . À retenir ces 3 P de la bienveillance : présence, protéger, pacifier.
Interlude
Se tenir debout
Alors, comment parler d’espérance malgré la peur et la colère bien légitimes ? Comment faire preuve d’accueil quand une grenade peut remplacer une poignée de main ? Allons à la source en nous demandant à la suite de Paul, comment enlever ces graines d’amertume qui troublent la relation.
Pour ne pas entrer dans le jeu des terroristes et nous faire leur complice, nous devons refuser l’idéologie de la peur qui nous coupe de notre part d’humanité. Cette humanité bonne est innée. Elle fait partie de notre héritage génétique comme tendent à le démontrer les recherches en neurosciences.
L’altruisme doublée de l’hospitalité serait non seulement garante du vivre ensemble, mais la force vive de la communauté humaine. La Bienveillance est au centre du refuge, elle en est le cœur.
Le chemin le plus sûr pour restaurer notre part d’humanité bonne et surtout l’activer est de déminer les terres en nous-mêmes. En d’autres mots. Identifier quelles sont les parts de notre être minées par l’intolérance, par la peur, la rancune et l’amertume et qui risquent à tout moment de nous faire sauter ainsi que ceux qui nous entourent.
Et si je me sens incapable de faire cet exercice parce que des émotions et des pensées dévastatrices font tumulte en moi, je peux néanmoins dans l’immobilité et le silence limiter leurs effets destructeurs autant en moi qu’envers un vis-à-vis. Cet exercice de désidentification amorce la libération véritable.
Amical, inamical
C’est connu, redisons-le ce soir, le mécanisme de projection fait apparaître le différend, amical ou inamical, enfoui en soi et que l’on rejette chez l’autre. Par notre pratique méditative, nous mettons en lumière ce qui est tapi dans l’ombre et demande à être mis en lumière.
Les différentes traditions de méditation séculaires nomment à juste titre ce travail de purification. Cette discipline exigeante fait appel au courage, elle consiste à enlever la poutre de notre œil qui fait voir la paille dans celle du voisin.
Voyez-vous l’importance que revêt une pratique méditative
tournée vers une conscience globale capable d’intégrer les opposés et d’accueillir la différence ?
Méditer n’est pas de l’angélisme pour fuir une réalité difficile, ni un passe-temps à l’eau de rose pour nier le mal subit, encore moins un rituel magique pour nous protéger d’un mauvais sort.
Au contraire, c’est une résistance forte et organisée, face au mal qui engendre le chaos par la barbarie. C’est un acte de résistance qui permet de dépasser l’angoisse du désespoir et de l’absurde. Il donne un souffle nouveau à la confiance vacillante, et par conséquent, entretient vivant la solidarité humaine naturelle.
Méditer est un acte de présence. C’est entrer dans cette profondeur où se tient au-delà du fracas, cet Autre Visage de l’Humain — Intact — et qui restaure cette joyeuse espérance de continuer.
Ici, ce soir, par cette communauté, il n’y a ni juif ni arabe ni français ni canadien, africain ou syrien. Il n’y a qu’une âme unie par l’Amour.
Dans le journal La Presse de ce matin, l’auteur et dramaturge Éric-Emmanuel Schmitt disait au sujet de la représentation intitulée Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, donné malgré l’attentat de la veille à la demande magistrat de Jonsac :
Je ne savais pas que parler d’amour,
c’était faire de la résistance, mais samedi soir je l’ai appris¹.
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Terminons avec ce mot de Paul Tillich.
Le courage de la confiance ne repose en aucune façon sur quelque chose de fini en dehors de soi-même, pas même l’Église. Il s’appuie sur Dieu seul et uniquement sur Dieu dont on fait l’expérience dans une rencontre unique et personnelle.
Le courage d’être (p.130)
Alors, au-delà de la notion d’un Dieu ou de l’image que nous en avons façonnée. C’est à cette expérience d’une rencontre que nous sommes conviés.
Restons unis dans ce silence et en notre âme, participons à la source du courage d’être.
Maranatha ◊
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Lionel Sansoucy
¹Source : Journal La PressesurmonOrdi.ca — Actes de résistance — 17 novembre 2015 — page 16
Interlude : Auteur : Kai Engel – Smiles Throughout the Sky – Source : http://cctrax.com/k/881-kai-engel/1521-rain-catcher
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